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La Percée des colons


(22 février 2007)

Texte et photos : Éléonore de Narbonne pour Témoignage Chrétien

Dans les Territoires, on construit à tout-va. Par nécessité économique ou par choix politico-religieux, des familles juives investissent ces villes nouvelles. Les tensions avec les Palestiniens voisins se multiplient.

« Je ne vis pas dans une colonie, mais dans une implantation », rectifie Claude avec un phrasé gouailleur. Depuis qu’il a quitté Paris, Claude s’appelle Moshé et ne serre plus de main féminine étrangère. « Je suis orthodoxe », explique-t-il en montrant la large kippa dissimulée par sa casquette. Il a trouvé un nid pour sa famille à prix abordable dans une localité toute neuve peuplée d’Israéliens, comme lui à la recherche d’un cadre de vie agréable. En Cisjordanie. Les colons sont les juifs qui ont établi des unités de peuplement dans les territoires conquis par Israël à l’issue de la guerre des Six Jours, que la communauté internationale considère depuis comme occupés. En 1967, la résolution 242 de l’Onu prévoit leur évacuation et infirme leur légalité. Depuis trente ans, ces unités de peuplement poussent néanmoins comme des champignons au-delà de la « Ligne verte » : en 1972, huit cents pionniers s’y installaient ; aujourd’hui, ils sont 260 000 (sur 7 millions d’Israéliens) à vivre au milieu de 2,4millions d’Arabes. Selon le ministère israélien de l’Intérieur, le nombre de juifs en Cisjordanie a augmenté de près de 6% en 2006, contre 1,4% en 2005. La Cour internationale de justice, qu’Israël ne reconnaît pas, a jugé leur présence illégale. La majorité d’entre eux sont des « colons économiques » comme Moshé, davantage motivé par un logement bon marché au grand air [1] -promis par la publicité- que par une idéologie antipalestinienne. Municipalité officielle depuis plus de quinze ans, Ma’ale Adumim est dotée d’infrastructures scolaires, sociales et de loisirs. Avec plus de 31000 habitants -que le maire compte doubler en dix ans-, c’est la plus grande colonie de Cisjordanie. Qui sera coupée en deux si le projet E2, qui prévoit de déployer la cité sur plus de 50 km2 vers Jéricho à l’est, voit le jour.

Patrouille
Patrouille
L’armée israélienne monte la garde lors d’une opération de soutien à des fermiers palestiniens.

Ramot, à une demi-heure de bus du centre de Jérusalem : dans les rues bordées de maisons en pierre claire, les hommes portent caftan, papillotes et chapeau. Les femmes, jupe longue et cheveux couverts, sortent rarement sans poussette.

Compétition démographique dans les colonies
Compétition démographique
Entre 1967 et 2003, la population arabe a crû de 233%, contre 135% pour la population juive.

Rien, pas même l’appel à la prière du village arabe voisin, ne perturbe le rituel repas de shabat auquel tiennent ces laïcs convaincus que sont les Foster. Enseignants, les parents ont toujours voté à gauche. « Le temps est venu de créer un État palestinien », professe le père, tout en admettant que sa maison se trouve « à cent mètres derrière la Ligne verte ». « Ce n’est pas une colonie puisque nous ne seront jamais évacués », s’exclame le fils, défendant la politique du fait accompli. Une technique sur laquelle repose tout le développement des implantations. Pragmatique, celui-ci n’exclut pas de rejoindre l’une de ces villes nouvelles quand viendra l’heure de fonder une famille. Comme ses voisins, il n’aura aucun mal à oublier qu’il vit en zone militarisée et qu’il contribue ainsi à l’occupation. Plus on gagne l’intérieur des Territoires, plus on a affaire à des « colons idéologiques » réfractaires à l’idée d’une future Palestine. Estimés à environ 60000, ils vivent au milieu de localités palestiniennes dans des villages isolés où l’on n’entre pas sans montrer patte blanche. Persuadés qu’il défendent la « frontière orientale » israélienne du péril arabe, mus par une mission d’ordre divin, ils sont souvent armés. Ils appellent la Cisjordanie « Judée et Samarie » qui désigne l’antique royaume juif d’il y a trois mille ans. « La véritable ligne de partage entre (ces deux types de colons) est le prix qu’ils sont prêts à payer » [2] pour y vivre : leur vie pour la cause, quand d’autres déguerpissent face au danger, surtout depuis septembre 2000, avec la seconde intifada. De 2000 à 2005, plus de cent soixante colons ont été tués par balles et des centaines furent blessés sur les routes ou à l’intérieur des colonies ; les milliers de victimes palestiniennes du feu israélien-civil et militaire- sont plus difficiles à chiffrer. Impossible de circuler sur la « route des colons » (empruntée par les bus publics israéliens) ou sur celle autorisée aux Palestiniens, à travers ces espaces arides et vallonnés, baignés d’une lumière si claire qu’on la croirait volontiers divine, sans apercevoir ces lotissements aux toits rouges plus ou moins étendus sur la crête des collines. Ici, chaque mètre carré est l’enjeu d’un pouvoir sur une terre dont les colons estiment... qu’elle leur est promise.

Garde-fou
Garde-fou
700 kilomètres de béton surmontés de barbelés, déclarés illégaux par la Cour internationale de justice.

Résultat : la moindre récolte d’olives expose un fermier palestinien au risque d’une mauvaise rencontre. « Quand j’étais petit, tout ça c’était chez nous, désigne d’un geste ample Abdelnasser, sous un olivier mangé par les broussailles. Et puis on a vu pousser des maisons ici, là-bas... » Il n’appelle pas les habitants d’Eli « les colons » mais « les Israéliens », trop habitué à voir, dans ces voisins juifs, des pilleurs ou des soldats. Du pré d’en face, deux militaires lui ordonnent : « Pas plus loin ! » Située à plus de vingt-trois kilomètres de la Ligne verte, Eli fondée il y a vingt ans, comptait 2500 habitants en juin 2006. C’est une colonie satellite d’Ariel dont la moitié des 20000 habitants sont des immigrants russes arrivés dans les années 90. Avec leur sac sur le dos et leur allure baba-cool, les jeunes que l’on croise aux carrefours peuvent facilement être pris pour des hippies en vadrouille. Il n’en est rien : la jeune génération de colons est souvent plus virulente que celle des parents. Héritiers des sionistes religieux [3] qui ont fondé les premières colonies dans les années 70 pour peupler le « Grand Israël », ils préfèrent la nature à l’embourgeoisement de leurs aînés. C’est qu’il a bien fallu que l’establishement colon -largement financé par la diaspora- fournisse à ces Israéliens bientôt retraités un confort proportionnel au danger quotidien encouru. Quand ils ne sont pas partis vers l’ouest, ces jeunes ont bien souvent perdu confiance dans des gouvernements qui se sont progressivement compromis dans l’acceptation d’un État palestinien, jusqu’à évacuer les 8000 colons de Gaza en août 2005. Un retrait soutenu à l’époque par plus de 60% des Israéliens.

Les colons reputés les plus violents vivent dans la région de Hébron. Dans les collines de Masafir Yata, quelques milliers de Palestiniens habitent dans des tentes et des grottes, selon un mode de vie ancestral. Ils connaissent bien les colons qui vivent en face, à Sussya, car ceux-ci essaient depuis longtemps de les faire partir : expéditions punitives, empoisonnement de l’eau... Depuis le début de l’année, par deux fois, la famille Khalaila a vu ses oliviers déracinés.

Entraide
Entraide
Un activiste israélien vient soutenir les fermiers palestiniens de Sussya (au sud d’Hébron), que les colons tentent d’expulser.

Le différend entre ces deux communautés est devant la justice depuis 2001, mais sans issue. Impasse récurrente  : selon le contrôleur de l’État, 75% des dossiers ouverts contre les colons entre 1998 et 2000 ont été clos faute de preuves.

ARROGANCE ET BRUTALITÉ

Hébron, où se trouve le caveau des Patriarches, est un haut lieu du judaïsme. Cinq cents juifs, protégés par l’armée, y vivent en camp retranché au milieu de 35000 Arabes. Début janvier, une vidéo circulait sur internet [4], montrant un jeune colon de la Vieille Ville qui insultait une Palestinienne tandis qu’un militaire assistait à la scène sans intervenir. Le Premier ministre Ehud Olmert déclarait, scandalisé : « J’ai vu ce film et j’ai eu honte [...] Cette arrogance et cette brutalité ne peuvent être tolérées. » Cela n’a pas empêché ses services d’annoncer [5] son intention de déplacer une nouvelle fois le tracé de la « barrière de sécurité  » (ou « mur de la honte », selon le point de vue) : cette fois, de cinq kilomètres vers l’est pour faire passer, du côté israélien, deux colonies, Nili et Naaleh, où vivent 1500 colons. Quelque 20000 villageois palestiniens se retrouveraient alors coupés du reste des Territoires [6]. Ce qui les fait également douter du maintien des colonies, c’est la « bataille démographique » que les juifs sont en passe de perdre : en 2005, Israël comptait 5,2 millions de juifs et 1,3million d’Arabes. À Jérusalem-Est, entre 1967 et 2003, la population arabe a crû de 233%, contre 135% pour les juifs. Confrontés aux statistiques de peuplement fin 2003, 78% des juifs israéliens se disaient favorables à la séparation des deux peuples, souvent qualifiés de « frères ennemis ». En attendant, l’un construit les maisons de l’autre, entre deux nuits passées entre tôle et vieux cartons, à un jet de pierre des gigantesques immeubles de Modi’in. C’est l’histoire que raconte 9 stars hotel [7], projeté la semaine dernière dans une salle presque comble de la Cinémathèque de Jérusalem. Générique de fin : la bonne société israélienne applaudit. À quoi ?

ÉPINE DANS LE PROCESSUS DE PAIX ?

La Feuille de route, qui vise à régler le conflit israélo-palestinien, prévoit le gel de la colonisation juive dans les Territoires occupés, où un État palestinien est censé voir le jour. Fin décembre 2006, alors que son auteur, le Quartet (États-Unis, Union européenne, Russie et Nations- Unies), tente de relancer les négociations de paix en panne depuis six ans, Israël donne son feu vert à la construction d’une nouvelle colonie de trente maisons dans la vallée du Jourdain pour reloger des colons évacués de Gaza. Le principal négociateur palestinien, Saëb Erakat, estime que cette annonce va « certainement gâcher l’atmosphère créée après la rencontre entre MM. Abbas et Olmert » trois jours plus tôt, lors de laquelle l’État hébreu a consenti à débloquer 100 millions de dollars pour l’Autorité palestinienne (sur les 600 millions qu’il lui doit). Un mois plus tard, sous les pressions nationale et internationale, le gouvernement renonce au chantier. Résultat : des mécontents chez les colons et leurs adversaires, et une pierre de plus dans le jardin de l’opposition. Parallèlement, Israël continue à autoriser la construction dans des colonies existantes. Le 15 janvier, alors que Condoleezza Rice était en tournée au Proche-Orient, le ministère du Logement publiait un appel d’offres demandant aux entreprises de soumettre leur devis pour construire quarante-quatre maisons à Ma’ale Adumim.

 


Les chiffres de l’occupation

*  En octobre dernier, Shalom Akshav annonce que les colons auraient profité de la guerre du Liban, à l’été 2006, pour développer trente et une colonies sauvages (sans accord des autorités) : déploiement d’infrastructures, de routes, de caravanes. L’armée ne serait pas intervenue. Un mois plus tard, elle publie un rapport fondé sur des données officielles et illustré de photos aériennes aboutissant aux conclusions suivantes :

*  Près de 40% des terres sur lesquelles les colonies ont été construites appartiennent à des personnes privées palestiniennes.

*  Plus de 40% des terres sur lesquelles ont été construites les colonies situées dans les blocs de colonies à l’ouest de la clôture en train d’être érigée par Israël, dont 86% de Ma’ale Adumim, 44% de Giv’at Ze’ev, 48% de Kedumim, et 35% d’Ariel, appartiennent à des personnes privées palestiniennes.

*  Plus de 3400 bâtiments dans les colonies sont construits sur des terres appartenant à des propriétaires palestiniens.

*  Les « terres à l’étude » (survey lands) sont des zones dont la propriété reste à déterminer et sur lesquelles le développement est illégal. Mais seuls 5,7% du territoire couvert par les colonies, et 2,5% de celui couvert par les blocs des colonies sont des « terres à l’étude ».

*  Seule une petite proportion des terres des colonies a été achetée par des juifs.

*  Plus de 50% des terres où les colonies ont été construites ont été déclarées « terres d’État », souvent par des moyens contestables et la plupart du temps au bénéfice des colonies. Le Conseil de Judée-Samarie, qui représente les colons, qualifie le rapport de « tissu de mensonges » et s’abrite derrière « l’autorisation du gouvernement ».

 


[1] En moyenne, construire en Cisjordanie coûte 1000 dollars par m2.

[2] Qui sont les colons ? C. Snegaroff et M. Blum, Flammarion, 2005.

[3] Le courant sioniste religieux, hérité de la pensée du rabbin Abraham Kook (1865-1935), voit, dans l’État d’Israël aussi bien que dans son armée, des instruments « sacrés »de la volonté de Dieu pour la réunification du « Grand Israël ».

[4] http://www.youtube.com/watch ?v=W2AaDg7-zD0

[5] Cette décision a été rendue publique le 1er février, le jour où Ehud Olmert comparaissait devant la commission d’enquête sur la guerre du Liban et à la veille de la réunion du Quartet.

[6] Le tracé de la barrière est sujet à controverse car il est censé respecter la frontière de 1967 mais, selon ses détracteurs, il ne « colle » à la Ligne verte que sur 11%.

Selon le ministère des Affaires étrangères israélien, le nombre d’attaques terroristes a baissé de 30% entre 2002 et 2003.

[7] http://www.edenproductions.co.il/

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