Affaires : Pasqua, réfugié politique au Sénat
(28 septembre 2004)
Pour s'assurer une nouvelle immunité, l'ex-ministre de l'Intérieur, élu dimanche, a su faire jouer ses réseaux. Sarkozy et Chirac compris.
Par Antoine GUIRAL et Thomas LEBEGUE, pour Libération
Il fallait sauver Pasqua. Pour une fois, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy sont tombés d'accord. Et le résultat ne s'est pas fait attendre : trois mois après avoir perdu son siège de député européen et son immunité parlementaire, Charles Pasqua, 77 ans, a été facilement élu au Sénat, dimanche, dans les Hauts-de-Seine. Nul doute que l'ancien ministre de l'Intérieur saura d'abord remercier Sarkozy qui, malgré ses dénégations, a beaucoup contribué à son retour dans la Haute Assemblée. Au mois de mars, Pasqua avait eu l'habileté de lui céder son canton de Neuilly-Nord, puis la présidence du département le plus riche de France (1,7 milliard d'euros de budget). En retour, Sarkozy l'a fait élire président d'honneur du conseil général. Et, depuis dimanche, sénateur pour six ans.
Hommage. Avant même de récupérer la forteresse des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy avait rendu un puissant hommage à son prédécesseur. La scène se déroule le 19 janvier, dans l'immense salle de réception du conseil général. En haut de l'escalator, Charles Pasqua et madame accueillent un à un les 2 000 participants, qui ne manqueraient pour rien au monde cette cérémonie des voeux. Au milieu de la soirée, devant un orchestre philharmonique, Pasqua adoube Sarkozy. Rien n'est encore officiel, mais, dans l'assistance, chacun sait que le «président Pasqua» s'est trouvé un successeur à sa taille. «Merci à Charles Pasqua parce qu'il a été pour nous une référence, lance Sarkozy. Nous n'avons pas oublié.» Un hommage public qui n'a pas échappé aux centaines d'élus locaux présents ce jour-là.
Rien d'étonnant à ce que ces mêmes élus, aujourd'hui cornaqués par Sarkozy, permettent à Pasqua d'accéder au Sénat six mois plus tard. Au total, 211 grands électeurs ont voté pour lui, dimanche, lors du renouvellement sénatorial. Sarkozy a beau jurer qu'il n'a «joué aucun rôle» dans cette élection, il suffit de faire le compte des voix pour se convaincre du contraire. On ne réunit pas impunément 10 % des grands électeurs en plein «Sarkoland» sans que le chef ait préalablement donné son accord. Début 2003, Sarkozy, alors à l'Intérieur, avait déjà fait un joli cadeau à son mentor. Dans le projet de loi réformant le mode de scrutin aux élections régionales, il avait fait inscrire un amendement permettant de cumuler le siège de député européen et celui de président de conseil général. Du sur mesure pour Pasqua, qui avait récupéré dans la foulée la présidence de «son» conseil général.
«Quel animal !» Pour les sénatoriales, la manoeuvre exigeait plus de finesse. Après sa gamelle électorale aux européennes du mois de juin, Pasqua est allé voir son jeune successeur pour évoquer son avenir. Les deux hommes sont convenus qu'il fallait mener une campagne tout en nuances. La liste d'«Union pour la majorité nationale», présentée par Pasqua, a diffusé des tracts rouge et bleu, aux couleurs de l'UMP. Il a également fait part de son intention de siéger au groupe UMP, «car c'est là que se trouvent ceux avec lesquels j'ai eu à défendre les convictions qui sont les nôtres». Pour parfaire sa symbiose avec le ministre des Finances, Pasqua a même pris sur sa liste le député Georges Siffredi, qui est le suppléant de Patrick Devedjian, ministre de l'Industrie et principal lieutenant de Sarkozy ! Bref, «Pasqua a fait une campagne très habile, témoigne un sénateur UMP. Il a joué à la fois sur le vote affectif de ses amis et sur la popularité de Sarkozy, tout en laissant penser qu'il ralliait l'UMP. Quel animal !»
Menaces. Cette victoire pasquaïenne n'est pas non plus pour déplaire à Jacques Chirac. Intouchable tant qu'il est protégé par son statut, le Président n'aime rien moins que de voir les juges tourner autour des affaires de ses vieux compères. Entre lui et Pasqua, ce sont quarante ans de compagnonnage, d'amitié, de petits et grands secrets, de coups bas aussi mais toujours scellés par des rabibochages au nom des intérêts supérieurs de chacun. Au-delà des aléas de la vie politique, une forte complicité unit ces deux hommes qui se voient et s'appellent régulièrement. Ami intime de la famille Chirac, Pasqua a toujours su trouver les mots pour faire comprendre au chef de l'Etat que ses éventuels ennuis judiciaires ne devaient pas aller au-delà de l'inacceptable pour lui. Trouvant le chef de l'Etat trop passif à l'égard de ses déboires, l'ancien président du conseil général des Hauts-de-Seine a multiplié ces derniers temps les sous-entendus ou menaces voilées à l'encontre de Chirac. Fin juillet, il lui a ainsi remis une lettre demandant «de faire en sorte qu'il ne subisse plus de traitement de défaveur» de la part du juge Courroye. Puis il a réclamé son désaisissement. Plus récemment, dans un entretien au Parisien, Pasqua faisait valoir que, s'il avait été candidat à la présidentielle, «Chirac n'aurait pas été élu». Une manière de réclamer, et visiblement d'obtenir, un renvoi d'ascenseur de l'Elysée.
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