La cour d'appel réduit l'inéligibilité de Juppé à un an
(mercredi 1er décembre 2004)
VERSAILLES (communiqué de Reuters)
- La cour d'appel de Versailles a réduit mercredi de dix à un an l'inéligibilité de l'ancien Premier ministre Alain Juppé, lui permettant de revenir dans le jeu politique bien avant la présidentielle de 2007.
Tout en confirmant sa culpabilité pour "prise illégale d'intérêt" dans l'affaire des emplois fictifs du RPR - qualifiés de "système généralisé" - la cour a aussi réduit de 18 à 14 mois la peine de prison avec sursis prononcée en première instance à Nanterre le 30 janvier.
Alain Juppé, 59 ans, "ne fera pas de pourvoi en cassation et réservera ses explications aux Bordelais sur ce qu'il fera à la suite de ce jugement", a dit son avocat, Me Francis Szpiner.
Interrogé par Reuters, l'Elysée s'est contenté de répondre : "c'est une décision de justice et vous comprendrez qu'on ne puisse la commenter".
Le maire de Bordeaux, qui a toujours nié les faits, a quitté le palais de justice sans faire de commentaire. S'il confirme qu'il accepte l'arrêt, il devra abandonner son mandat de maire, soit de lui-même, soit en attendant l'issue d'une procédure de déchéance confiée au Conseil constitutionnel.
Suivant les délais administratifs, c'est fin 2005 ou début 2006 qu'il pourra briguer un nouveau mandat de député et se faire réélire maire par son conseil municipal.
Les attendus de la cour d'appel ne reprennent pas les conclusions sévères du tribunal de Nanterre qui avait reproché à Alain Juppé d'avoir "trompé la confiance du peuple souverain".
"Il est regrettable qu'au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l'occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n'ait pas appliqué à son propre parti, dont il était secrétaire général à l'autorité incontestée, les règles qu'il avait votées au parlement", déclare la cour dans ses attendus.
"Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n'ait pas cru devoir assumer devant la justice l'ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés", ajoute-t-elle.
DEROGATION INEDITE A L'AUTOMATICITE
La cour suit par ailleurs l'argumentaire de la défense. "M. Juppé s'est consacré pendant de nombreuses années au service de l'Etat, n'a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions commises au bénéfice de l'ensemble des membres de son parti, dont il ne doit pas être le 'bouc émissaire', comme l'a plaidé un de ses conseils", écrit-elle.
Elle n'a pas suivi l'avocat général Daniel Renaut qui avait requis 18 mois de prison avec sursis et deux ans d'inéligibilité au procès en octobre.
Les dix ans d'inéligibilité du premier jugement, découlant automatiquement d'une loi votée en 1995 par une majorité RPR-UDF, avaient amené Alain Juppé à abandonner son mandat de député et son poste de président de l'UMP, revenu finalement dimanche dernier à Nicolas Sarkozy.
Solution juridique inédite, la cour d'appel a choisi de déroger à cette automaticité légale et de fixer elle-même la durée de l'inéligibilité en faisant usage de l'article 432-17 du code pénal, relatif aux peines complémentaires.
Alain Juppé est reconnu coupable d'avoir fait rémunérer six cadres du RPR par la Ville de Paris entre 1990 et 1995, et non sept comme en première instance, la cour ayant prononcé une relaxe partielle sur le dernier cas.
Alain Juppé était alors secrétaire général du RPR et adjoint aux Finances de Jacques Chirac à la Ville de Paris.
La cour a condamné aussi les ex-trésoriers du RPR Robert Galley (neuf mois de prison avec sursis) et Jacques Boyon (un an avec sursis), Antoine Joly, ex-secrétaire national du parti (neuf mois avec sursis) Patrick Stefanini, ex-directeur de cabinet d'Alain Juppé au RPR (dix mois avec sursis) et l'ex-trésorière occulte du parti, Louise-Yvonne Casetta (dix mois avec sursis)
Ces peines sont très inférieures aux sanctions de première instance et aux réquisitions du parquet. Pour Antoine Joly et Robert Galley - Compagnon de la Libération et plusieurs fois ministre - sont symboliques, car effacées aussitôt par la loi d'amnistie votée après la présidentielle de 1995.
La condamnation de Patrick Stefanini ne sera pas inscrite à son casier judiciaire, ce qui lui permet de poursuivre sa carrière administrative au Conseil d'Etat.
Me Jean-Pierre Mignard, avocat de la Ville de Paris, s'est dit "satisfait" du jugement. La Ville réclame 1,235 million d'euros aux prévenus condamnés pour le remboursement des salaires indûment versés. Ce point sera plaidé en première instance devant le tribunal de Nanterre en janvier 2005.
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