Rroms et riverains : apprendre pour agir
Compte-rendu par Jérémie Verger du débat du 13 septembre 2014 à la Fête de l’Humanité, organisé par Ensemble !
Autour du livre de Aurélie Windels, Carine Fouteau, Éric Fassin, Serge Guichard : Roms et riverains. Une politique municipale de la race, La Fabrique, 2014.
Intervenants :
Éric Fassin
Serge Guichard
Saimir Mile (président de la Voix des Rroms)
Saïd Bouamama (sociologue et militant associatif et politique).
Public : environ 80 personnes.
Éric Fassin
Lien entre politique de la race et néolibéralisme.
Définition : Qu’est ce que la politique de la race ?
- À distinguer du racisme comme idée des gens racistes. Le (mauvais) traitement réservé aux Rroms serait alors la conséquence du racisme de la population.
- Au contraire, la politique de la race est la création de la race, la production d’une altérité qui, en s’incarnant dans un traitement différencié des populations amène à justifier (et inventer) des différences entre populations.
En un mot, ce n’est pas parce qu’ils sont différents qu’on traite les Rroms d’une certaine manière, c’est au contraire la différence de traitement qui crée un groupe qu’on essentialise et différencie.
Problématique : comment expliquer qu’en France et en Europe une politique de la race prospère en contraction apparente avec les valeurs officielles de la Républiques et de l’Union Européenne ?
Là vient le rapport au néolibéralisme.
Les Rroms sont vus comme les vauriens de l’Europe. Ceux qui ne valent rien, qui n’ont pas de valeur, dont les activités seraient en dehors de l’économie et du PIB (Cf. récupération de ferraille, vêtements, rapine), ceux qui sont hors-jeu.
2 remarques :
L’absence de valeurs économique prêtée aux Rroms s’accompagne d’une forte valeur/efficacité politique pour animer ces politiques d’exclusion.
Les Rroms ne sont pas le seul groupe qu’un discours dépeint comme bons à jeter, sans place ni utilité. Cependant, la politique de la race qui vise les Rroms a valeur de paradigme par sa radicalité.
Ainsi cette politique de la valeur fait du Rrom le repoussoir, la menace contre tous ceux qui ont à défendre au moins le fait de ne pas être Rrom dans le contexte du néolibéralisme et de précarisation généralisée.
Il n’est donc pas accidentel que le changement de gouvernement n’ait pas entraîné plus de changement dans les politiques migratoires que dans les politiques économiques.
Conséquence politique : Distinguer politique sociale et politique de la race c’est donc faire fausse route.
Proposition : développer l’équivalent de RESF contre cette politique de la race.
Serge Guichard
Intervention plutôt sous la forme d’un témoignage et de remarques.
L’intervenant souligne son incompréhension : face à une politique anti-Rroms qui dépasse par ses effets et sa systématisation les autres politiques répressives, il n’y a pas d’unité des militants. Les mêmes militants qui ont mené les combats pour la régularisation des sans-papiers, la scolarisation de leurs enfants etc mènent parfois une politique diamétralement opposée quand il s’agit des Rroms.
Pour sortir de cette incompréhension et de cette division, il est nécessaire d’aller au fond des analyses politiques et de comprendre les ressorts de la création de la figure du Rrom et de ses figures annexes, comme celle du riverain (proche mais séparé), qui a supplanté celle du voisin (qui partage un voisinage) ainsi que celle du citoyen. (C’est l’objet du livre).
Saimir Mile
[Intervention très difficile à retranscrire]
3 idées principales :
Ecart flagrant entre la réalité rrom et ses représentations. Exemple : assimilation des migrants roumains et bulgares aux Rroms, idée que les Rroms seraient les derniers arrivés en France alors que leur présence remonte au 14e siècle...
Endogamie très forte et dégénérescence du système politico-médiatique en France qui fait des Rroms un usage de propagande politique : une carte dans le jeu politico-médiatique.
Pour ne plus être une carte dans le jeu mais devenir des joueurs, les Rroms doivent devenir mobiles (idées pas explicitée : auto-organisation des Rroms ou volonté de se démarquer des représentations communes ?)
Saïd Bouamama
La question rrom est une épreuve à nos prises de positions progressistes (dont il propose une définition : être de gauche, c’est diviser le monde selon des lignes de domination et non selon des lignes culturelles ou ethniques).
2 références intellectuelles :
Bertold Brecht, pour qui la revendication de la naturalité d’un état de fait masque toujours un rapport de domination.
Frantz Fanon, pour qui le racisme culturel a remplacé le racisme biologique. Ce qui a 3 dimensions :
- La construction de l’autre comme altérité radicale, comme exception ;
- La production de la peur ;
- L’incitation/l’autorisation au passage à l’acte.
Pour la gauche, le verrou est la logique intégrationniste, ce qui rend l’antiracisme actuel inopérant.
Hypothèse politique :
Développer l’auto-organisation des Rroms ;
Engager le débat sur les paradigmes antiracistes, en particulier sur l’intégrationnisme. Faire sauter ce verrou nécessite de poser des questions à la gauche : celle de l’islamophobie, celle de l’intégration, celle des Rroms et celle de la discrimination selon l’origine.
Questions de la salle
Une institutrice de Bobigny souligne que des maires de gauche, parfois impliqués dans RESF organisent aujourd’hui l’exclusion des Rroms par les expulsions, le refus d’inscrire les enfants à l’école (par exemple à Champs-sur-Marne). En outre, ces actes se retrouvent également dans l’Éducation nationale, chez les instits. etc. (exemple : pas de place en ULIS pour les enfants rroms).
Ce débat se poursuit par un forum de l’antiracisme et de l’égalité.