Rejeter les conditions à l’intégration
par Félicien Breton (octobre 2016)
Apaiser la France ou mieux vivre ensemble ? Demander une « France apaisée », c’est fortifier les dominations en place. Au contraire, nous avons besoin de refonder l’école et la laïcité. Si le projet inclut toutes les personnes alors nous vivrons mieux.
L’adversaire d’une égalité réelle n’est pas « la droite ». L’adversaire n’est pas seulement le racisme d’État et l’antiracisme moral. (Mais les combattre est indispensable. Merci à ceux/celles très nombreux/ses qui le font.)
Les valeurs républicaines
L’adversaire est aussi à mon sens les valeurs républicaines, en tout cas telles qu’elles sont utilisées concrètement : comme conditions mises à l’inclusion dans une communauté nationale française. Fin juillet, je discutais avec un policier municipal de PACA. Discuter implique bien sûr qu’il n’était pas en service : c’était une conversation personnelle, pas une interpellation. Attention : le niveau de racisme est élevé et le mépris fait mal. Il me disait : « Il y avait en ville ce couple [d’immigré-e-s du Maghreb], très bien, toujours très respectueux, toujours "Bonjour Monsieur". Ils ont une fille qui était très gentille et puis un jour elle a mis le voile. Je ne suis pas raciste mais ces gens là doivent respecter les valeurs de la République. S’ils ne veulent pas vivre comme nous, qu’ils retournent chez eux. »
Effectivement, ce monsieur ne montre pas plus de préjugés racistes que la plupart des personnes avec qui il discute. Il croit ne pas voir une « race » (prétendument arabe) mais un comportement. Les injonctions sont puissantes : le respect, c’est la déférence aux forces de l’ordre et la soumission au mode de vie moderne. Alors seulement, la société vous valide : « bien intégré-e ». Toutes les mises en question de tel ou tel « signe ostentatoire » musulman occultent la revendication fondamentale que les politicien-ne-s commencent à énoncer : « Les apparences musulmanes doivent disparaître de l’espace public ». Il s’agit de tout « signe » que les militant-e-s de l’invisibilité déclareront musulman. Il pourra être porté par quiconque et non plus seulement les femmes.
« S’intégrer » semble une proposition de la République : il suffirait de vouloir. L’intégration comme voie d’assimilation républicaine est plausible : il suffirait de se conformer, de suivre l’école d’État pour « s’intégrer » (en fait être accepté-e, validé-e comme assimilé-e). Que ce mythe soit faux n’entame pas sa force. Que l’école nationale soit une machine à trier et broyer a déjà été bien démontré. De plus Fatima a plus de chances de trouver un emploi si elle n’a pas de diplôme supérieur. L’injonction à une identité conforme est hégémonique parce qu’elle est cohérente et qu’elle arrange « tout le monde » (mais pas celles qui n’ont pas de privilège).
"On" préfère que les Noir-e-s soient "apolitiques", en fait pro-business
L’injonction à la respectabilité
On veut tou-te-s du calme. Pour la plupart de mes voisins, la paix serait maintenue pas les forces de l’ordre. Pour ielles, le calme c’est l’invisibilité des « minorités visibles ». Les injonctions républicaines servent à maintenir les « minorités visibles » à leur place ; subordonnée.
La politique de respectabilité, c’est demander aux dominé-e-s de bien se comporter pour désamorcer racisme et sexisme. Non seulement c’est inefficace parce que le racisme et le sexisme sont structurels mais en plus, c’est une façon de contrôler les populations, c’est perpétuer la domination. Il faut au contraire « ne pas culpabiliser celles et ceux qui choisissent de s’affirmer en leurs propres termes ».
Vivons mieux ensemble !
Mme Shue et sa classe assises en « cercle de respect »
On peut au contraire rejeter le rappel à l’ordre et la stigmatisation des cultures non-franchouillardes. On peut continuer de démontrer l’impossibilité pratique du projet uniformisateur. Mais que proposer de désirable à la place ? Un projet alternatif pourrait comprendre une appropriation de l’école par ses intervenant-e-s (pas seulement les professeur-e-s et les élèves ; voir les expérimentations de Céline Alvarez par exemple), donc une lutte contre l’institution.
Nous avons aussi besoin d’une laïcité pluraliste (ou libérale). La laïcité est une norme sous tension : son contenu dépend de débats et de rapports de forces. La loi de 1905 n’a pas fait que séparer l’État et l’Église ; elle a imposé la neutralité des fonctionnaires et garanti la liberté d’expression de sa religion. C’était un compromis politique. La loi de 1905 installait la co-existence pacifique des fidèles de la République et des croyant-e-s. La laïcité de combat enjoint aux citoyen-ne-s d’adhérer aux valeurs républicaines. Les « signes ostentatoires » sont réprimés. La laïcité de combat est mortifère, pour les expressions particulières et pour l’épanouissement de la société. Avec une laïcité pluraliste, l’État deviendrait aveugle au mode de vie de ses sujets et garantirait la liberté d’expression de la religion de la personne. C’est à mon sens une condition de l’émancipation de tou-te-s.
La laïcité pluraliste et l’école pour tou-te-s sont désirables. Ce sont des projets de progrès, pas d’apaisement. Mettre des conditions à l’intégration dans une communauté est mortifère. Nous devons combattre la politique de respectabilité et rejeter les conditions à l’intégration.